C’est ton regard que je cherche (partie 1)

Je rédige ce livre pour toutes les Lilith de la terre, pour ces femmes qui se sentent l’égale des hommes et qui ont été rejetées dans leurs relations amoureuses à cause de cette conviction. Pour ces femmes pour qui la structure traditionnelle du mariage dans une société patriarcale ne correspond pas, pour celles qui ont cru pouvoir demeurer authentiques sans se perdre dans les schémas conventionnels du couple ou de la famille nucléaire, et qui ont vu leurs relations s’effriter ou leur identité se dissoudre. Mais également pour tous ces hommes qui aspirent à voir leur partenaire s’épanouir, mais qui perçoivent en elles des douleurs, des blessures qu’ils ne parviennent pas à apaiser, malgré tout l’amour qu’ils leur portent. À toutes les femmes qui se reconnaîtront dans ce récit, dans cette figure de la démone qui n’était, au final, qu’une égale.

À l’âge de deux ans et des poussières, j’ai fait un rêve mémorable. Ma sœur n’était pas encore née à cette époque. Elle a rejoint notre famille quand j’avais deux ans et quatre mois, juste un peu après ce rêve qui a laissé une empreinte vive dans ma mémoire.

Dans ce rêve, la terre était dépourvue de tout, à l’exception de la nature luxuriante et d’une atmosphère paisible et ordonnée. Il n’y avait pas d’êtres humains, mais quelqu’un, ou quelque chose, semblait orchestrer la vie sur cette planète. Puis, du sol, deux êtres humains sont apparus, un homme et une femme. Dans ce rêve, j’incarnais la femme.

C’était une expérience extraordinaire d’habiter ce corps féminin, avec ses formes gracieuses et séduisantes, ses courbes généreuses, ses longs cheveux roux qui descendaient jusqu’aux fesses. Je me sentais subjuguée par la beauté de ce corps qui était le mien dans ce rêve. En face de moi se tenait un homme, un séduisant jeune homme aux cheveux châtains, grand et bien bâti.

Notre mission était claire : vivre en harmonie sur cette terre paradisiaque et la peupler. Il semblait naturel de s’accoupler avec cet homme, le flux de la vie traversant nos êtres à chaque contact. Pleine d’assurance, j’ai suggéré de changer notre position lors de l’acte, proposant par exemple de le chevaucher. J’adorais cette image, ma poitrine rebondissait librement, mes cheveux effleurant le bas de mon dos, et son corps en moi que je pouvais guider de l’intérieur.

Cependant, sa réponse négative à ma proposition m’a surprise et blessée, déclenchant en moi une colère brûlante. Peu de temps après, j’ai appris qu’il s’était plaint auprès du « créateur » de mon audace. Je me suis sentie trahie, comme si être moi-même était interdit. Bientôt, une autre femme, tout aussi magnifique que moi, m’a remplacée et j’ai été bannie de ce paradis qui aurait dû être le nôtre. On m’a diabolisée, affirmant que j’étais un danger pour les nouveaux-nés et que j’avais échoué dans ma mission de devenir la compagne idéale de cet homme et de peupler la terre.

Un profond sentiment de culpabilité m’a envahi à mon réveil. À cet âge-là, j’ai fait plusieurs rêves de cette nature, où le sommeil semblait m’ouvrir les portes vers un univers d’histoires et de compréhensions fascinantes.

Je ressentais pleinement chaque aspect de mes rêves, comme si j’incarnais réellement les personnages et les situations qui se déroulaient, surtout lorsque le récit était aussi intense que celui que j’ai décrit précédemment.

Cette période de ma vie était marquée par de nombreux rêves, et peu de temps après celui-ci, j’ai fait un autre rêve qui m’a profondément marquée. Dans ce rêve, ma peau était d’un bleu éclatant et je me retrouvais à nouveau dans le corps d’une femme. Je me battais vaillamment contre des démons, et à mesure que je gagnais en pouvoir et en force, je devenais de plus en plus gigantesque.

Les combats se déroulaient dans un lieu indéfinissable, presque comme s’ils embrassaient la totalité de la planète. J’étais tellement grande que la terre sous mes pieds semblait insignifiante. Lorsque j’ai rencontré un autre démon, je ne lui ai pas accordé une attention particulière et je l’ai écrasé avec vigueur et jubilation. Cependant, avant que je puisse le vaincre complètement, il s’est relevé avec force, se transformant pour révéler sa véritable identité. J’ai réalisé alors que j’avais commis une erreur, écrasant mon propre allié qui luttait contre les mêmes forces ailleurs. Prise dans mon empressement à vaincre, j’avais mal évalué la situation et agi par orgueil et désir de triomphe. J’avais oublié l’humilité et la nécessité d’analyser calmement les enjeux avant d’agir. Je me suis confondue en excuses auprès de celui que j’aimais le plus, comprenant que la leçon à tirer de cette expérience était d’une importance capitale.

En me réveillant, j’ai compris que posséder du pouvoir était une chose, mais qu’il était tout aussi important de voir au-delà de ses propres désirs. Je me suis retrouvée partagée entre deux émotions : la jubilation de posséder le pouvoir et l’échec de l’avoir mal exercé. À cet âge-là, je peinais à comprendre pleinement la leçon qui m’était enseignée.

Revenons maintenant au début, au commencement même de mon existence terrestre, une période que tous les humains connaissent, mais dont ils ont oublié les détails. Lorsque j’ai entrepris le voyage d’incarnation, passant du divin au terrestre à travers le tunnel de la naissance, on m’a présenté le programme de vie que je devais suivre. Il semblerait que j’avais encore une rancune tenace envers ma mère d’une vie antérieure, alors que mon destin était d’être une âme légère, capable de transcender les émotions, de pardonner et de vivre dans la simplicité.

À la base, l’histoire de ma vie terrestre devait commencer avec ma mère créant des blessures en moi, mais il semble que les plans aient changé. Ce sera mon père qui jouera ce rôle, permettant ainsi de rééquilibrer l’animosité que j’avais gardée. Leur rencontre à Paris, dans la ville de l’amour, m’a toujours semblé magnifique, et cela me satisfait pleinement, sans avoir besoin de plus de détails.

Contrairement à d’autres, cette fois, je serai élevée dans un environnement sûr, où je serai protégée sur tous les plans : physique, mental et financier. On m’annonce également que je réussirai plutôt bien dans la vie et que je deviendrai un maître, en partie grâce à mes parents. En tant qu’âme créative, je visualise un professeur enseignant dans une salle de classe. Ce sont mes propres images, mes projections de ce qui m’est annoncé. Apparemment, je serai très aimée par de nombreuses personnes tout au long de ma vie, et je ne serai jamais vraiment seule. Ma beauté et mon corps attireront l’attention d’une multitude de personnes. Quelle joie de savoir que je serai cette personne-là !

Je suis pleine d’impatience à l’idée de vivre toutes ces expériences. Et puis, enfin, on m’annonce ce que j’ai toujours attendu : je vais connaître l’Amour, le véritable Amour, et rencontrer ma flamme jumelle, cette personne dont l’énergie sera exactement semblable à la mienne (nous y reviendrons). De plus, il est déjà sur terre, pas très loin de chez moi, et lorsque le moment sera venu, nous nous rencontrerons. J’ai vite oublié la phrase « lorsque le moment sera venu », et je me lance dans cette aventure avec une détermination sans faille, comme un fauve qui ne veut pas manquer sa proie. C’est un monde plein de couleurs, c’est magique, et je suis extrêmement heureuse. Mais alors que je suis en pleine euphorie, on me glisse une dernière information : « Mais tu vas perdre ta mère très jeune ! »

Cela se concrétise sur terre de la manière suivante : ma mère, une femme toute fine et délicate, pesant 48 kg pour 1m55, tombe enceinte de moi après avoir traversé plusieurs fausses couches qui l’ont profondément attristée. Elle a dû attendre un certain temps, car elle rencontre mon père alors qu’elle a 20 ans et lui 22 ans. Ils se croisent à Paris, après avoir fait les vendanges dans le sud de la France et fait une escale dans la capitale française avec une amie. Au détour d’une rue et d’une question d’orientation, elles rencontrent mon père et l’un de ses amis. L’amie de ma mère insiste pour se rendre à une fête à laquelle elles ont été invitées par l’ami de mon père. Ma mère s’y rend sans grand enthousiasme, freinant souvent les élans de vie par crainte. Mais ce soir-là, mon père lui parle, avec ses cheveux longs et ses grands yeux bleus dans lesquels elle se perd complètement. C’est le coup de foudre. Il avait tous les attraits pour séduire une anglaise d’origine tunisienne. Intellectuel, boursier, il étudie dans des universités prestigieuses entre Londres et Paris.

Cela semble être le début d’une vie tranquille. Depuis le moment où mes parents ont eu cette certitude lors de leur rencontre, ma mère a attendu près de dix ans avant d’être enceinte de moi. Lors d’une échographie, le gynécologue a annoncé que j’étais un garçon, réalisant ainsi le rêve de mon père qui souhaitait un héritier pour sa lignée. Mais à ma naissance, alors que je serrais fort le cordon ombilical dans mon poing, j’ai failli ne pas venir au monde. Heureusement, le gynécologue, faisant bien son travail, m’a aidé à naître. Une fille. Oui, c’était une fille. Cette annonce a peut-être été un petit choc pour mon père, mais je suis devenue sa première-née, ce qui revêt une grande importance dans la tradition musulmane. Il m’a accueillie comme une princesse, malgré l’écart avec ses attentes initiales.

Lorsque j’ai commencé l’école, j’étais plus excitée à l’idée de rencontrer l’homme de ma vie que de franchir cette nouvelle étape. Mon « homme » vivait non loin de chez moi, et je l’ai rencontré très jeune. « Tôt » peut signifier dès la petite enfance. Alors, je me suis lancée dans ma quête. Mon objectif était de me marier aussi rapidement que possible, et je n’ai pas caché mes intentions à mon père. Il m’a répondu avec douceur que j’avais tout le temps devant moi, que je devais d’abord terminer mes études, et que le mariage viendrait en son temps. Il a également souligné l’importance de mon indépendance et m’a encouragée à ne pas dépendre d’un mari. Sans le savoir, il a contribué à façonner ma vision féministe du monde. Pourtant, il ne semblait pas prendre mes aspirations au sérieux, ou peut-être ne voulait-il pas les prendre au sérieux.

Mais je n’ai pas attendu longtemps avant de trouver celui qui allait devenir l’élu de mon cœur. Mon désir ardent de rencontrer mon partenaire idéal m’a donné une attitude entreprenante dès mon plus jeune âge, et cette attitude persiste toujours. Bien sûr, je pourrais justifier mes actions en disant que tous les enfants ont une imagination débordante, mais je dois avouer que partager cette histoire me fait sentir un peu gênée, comme si je voulais me cacher derrière mes mains et soupirer. Mon premier « élu » a accepté, sans trop de résistance, mes avances passionnées à l’âge tendre de trois ans et demi, répondant timidement à mes demandes de mariage et à mon désir d’avoir des enfants.

Il avait du mal à communiquer avec le monde extérieur, et à l’école, les enseignants pensaient même qu’il était malentendant. Pourtant, je parvenais à communiquer avec lui assez facilement et je jouais le rôle d’interprète. Cependant, la professeure principale de ma classe a décidé de nous séparer, affirmant à mon père que je portais un fardeau trop lourd pour mon jeune âge. Je me souviens qu’elle avait mentionné qu’il n’était pas approprié que je passe autant de temps avec quelqu’un en situation de handicap. Ainsi, j’ai été séparée de cette première personne par une intervention extérieure. En dehors de lui, je n’arrivais pas à me connecter avec le monde extérieur. Les autres personnes m’ennuyaient, et l’école m’ennuyait également, à l’exception de tout ce qui était créatif. Je passais de longs moments, le nez en l’air, accoudée avec mon menton dans ma main, les yeux rivés vers la fenêtre, observant les nuages se déplacer dans le ciel. Cela m’a valu de nombreuses remarques dans mon carnet scolaire, témoignant de mon manque de concentration et d’application en classe.

J’ai mis un peu plus de temps que les autres à apprendre à lire, mais grâce aux efforts de ma mère et aux livres de la série Rathus, j’ai finalement commencé mon apprentissage de la lecture. Cependant, ce retard a profondément inquiété mon père, qui craignait que je ne réussisse pas mes études et que je mène une vie difficile. Par conséquent, il m’a interdit toute activité parascolaire et tout divertissement autre que la lecture et un peu de télévision. Autant dire que ces décisions n’ont pas favorisé une relation harmonieuse entre nous. Je suis devenue sa captive, et malgré l’amour que je lui portais, je lui en voulais profondément. Cette colère, je l’ai enfouie en moi, comme un hamster qui remplit ses joues, je me suis remplie de peine et de colère. Je ne voulais pas le décevoir, surtout étant une fille, il était crucial que je réponde à ses attentes sur tous les plans.

Pendant mes soirées de lecture, j’ai découvert plusieurs histoires d’amour qui ont laissé une empreinte durable sur mon identité amoureuse. Mon premier livre, « Paul et Virginie » de Henri de Bernardin de Saint-Pierre, est tombé entre mes mains. Je le lisais en cachette, sous ma couverture, dans ma chambre. C’est là que j’ai véritablement commencé à adorer la lecture, à m’évader dans des mondes qui n’étaient pas le mien, grâce à la magie des mots d’un auteur. Dans ce livre, j’ai particulièrement apprécié le lien spécial entre amour et amitié.

La fin de « Paul et Virginie » m’avait profondément attristée, surtout parce que je trouvais Virginie particulièrement stupide. Elle revenait du continent européen, civilisée avec son éducation bourgeoise et sa toilette raffinée, mais ces attributs se révélaient absolument inutiles dans le contexte d’un naufrage. Sa stupidité résidait dans le fait qu’elle préférait mourir plutôt que de sauter à l’eau, pour sauver ses vêtements (ce qui pouvait être interprété comme sauver ses privilèges). Pour moi, l’amour aurait dû triompher, même s’il n’y avait plus de place pour les privilèges, laissant ainsi Paul seul sur la rive. Je me souviens avoir eu le cœur brisé pour lui.

Plus tard, entre l’âge de douze et quinze ans, deux livres ont particulièrement marqué mon esprit : « Madame Bovary » de Flaubert et « Le Rêve » de Zola, pour des raisons très différentes. Avec « Madame Bovary », j’ai ressenti l’amertume de la vie gâchée, des mauvais choix (mais finalement tout n’est-il pas une expérience ?), bien que à cet âge-là, et peut-être même encore maintenant, je sois quelque peu dramatique. Emma Bovary rêve sa vie et néglige la réalité, et il n’est pas surprenant que cette réalité la frustre. Je me répétais que je ne voulais pas devenir une Madame Bovary, sa vie me semblant misérable.

En ce qui concerne « Le Rêve » de Zola, il raconte l’histoire d’une personne qui languit après son amour, qui a peur de s’y abandonner, qui finalement le vit pleinement, mais meurt avant de pouvoir le savourer pleinement. Les retournements de situation, le sentiment de culpabilité lié à l’amour, l’impatience des retrouvailles, et finalement le fatalisme de ne pas pouvoir vivre ce pour quoi on s’est battu m’ont tenue en haleine. Une fois de plus, je me suis sentie troublée par la fin de cette histoire, ainsi que par ce sentiment de culpabilité, sans vraiment comprendre pourquoi ces livres m’affectaient autant.

Enfin, une autre figure féminine et ses histoires d’amour ont marqué mon esprit : Scarlett O’Hara. Scarlett vit un amour non partagé pour Ashley, alors que Rhett Butler arrive dans sa vie et lui offre tout ce dont elle a besoin. Pourtant, il lui faudra perdre Rhett pour réaliser qu’elle l’aime vraiment. Ce qui m’a particulièrement plu dans leur relation, c’est que Rhett était aussi séduisant qu’elle était séductrice, aussi fort de caractère qu’elle était forte. Mais alors qu’il s’est abandonné à ses sentiments pour elle, elle n’a réalisé son amour que trop tard.

Avec tous ces éléments en tête, il est temps de vous dévoiler mon parcours amoureux. D’une manière générale, j’ai toujours eu une profonde affection pour tous les hommes qui ont croisé ma route. Cela n’a pas toujours été le cas. Autrefois, je nourrissais une colère profonde envers les relations qui finissaient par se briser. Aujourd’hui, je considère ces expériences comme enrichissantes. Cependant, à chaque rupture, je me retrouvais déçue et remise en question, ne comprenant pas pourquoi les choses ne fonctionnaient pas pour moi.

Bien que j’aie eu plus de quatre relations significatives, ce sont celles qui illustrent le mieux ce dont je veux vous parler. Chacune a apporté son lot de compréhensions. Ce n’est qu’après la dernière de ce quatuor que j’ai pu relier les points entre eux et comprendre ce qui me travaillait en profondeur depuis toujours.

La première de ces relations m’a fait vivre un début similaire à celui de mes parents. Nous nous sommes rencontrés à l’anniversaire d’une amie, dans un restaurant de la vieille ville de Genève. J’ai été immédiatement attirée par sa présence, et comme à chaque fois que je rencontre quelqu’un d’important pour moi, je me suis demandée qui était cette personne. Il se déplaçait avec une légèreté qui m’a semblé remarquable. À l’époque, j’avais 19 ans, et il avait trois ans de plus que moi. Nous avons discuté, dans un état de légère ébriété, et j’ai ressenti une liberté d’être moi-même, du moins ce que je pensais être à cet âge. Je pense que nous nous sommes rapidement séduits. J’ai voulu le revoir. À ce moment-là, j’étais étudiante en droit et j’avais organisé un voyage à Paris avec quelques-uns de mes camarades de classe.

L’idée était d’être nombreux et de nous entasser dans la maison de ma mère. Les plombs ne supportaient pas la présence de tant de monde et sautaient à des moments incongrus. Notamment, dans une situation assez comique, lorsqu’un groupe de garçons regardait un film érotique avec le projecteur, pendant que nous, les filles, parcourions les rues pour faire du shopping. Nous étions très genrés à l’époque.

J’étais à Paris quelques jours avant le reste du groupe et j’espérais pouvoir passer une soirée avec lui. Cependant, mes messages n’étaient pas très clairs, comme je l’ai réalisé plus tard. J’avais proposé de regarder un film à la maison, ce qui pour lui ressemblait davantage à un rendez-vous à connotation sexuelle, ce qu’il ne souhaitait pas. Finalement, nous nous sommes retrouvés lors d’une soirée avec tous nos amis, bien au-delà des heures raisonnables, et nous nous sommes embrassés passionnément. Après cette soirée, nous avons commencé à nous fréquenter. 

Comme je voyageais souvent à Paris, nous nous sommes rapidement revus et sommes tombés amoureux tout aussi rapidement. Ce qui était magnifique dans cette relation, c’est que nous partagions le même imaginaire, celui d’un mariage d’amour heureux, et c’est donc ce que nous souhaitions secrètement l’un avec l’autre. Mais tout cela a changé lorsque mon démon intérieur a décidé de tout saboter.

Ce démon, à ce moment-là, c’était la jalousie. Une jalousie maladive qui me rendait complètement folle, me faisait perdre le contrôle de moi-même. J’avais besoin de garanties, de savoir qu’il serait toujours là, TOUJOURS. Mais lui, dans la vingtaine, me disait que ce n’était pas possible d’offrir une telle garantie. Qu’il m’aimait, oui, c’était certain. Nous avions une relation magnifique, et pendant un moment, j’ai réussi à me canaliser, à vivre l’instant présent. Mais mes inquiétudes, mes projections et mes pensées les plus sombres généraient en moi une anxiété profonde. J’avais la mâchoire serrée et je vivais mes peurs comme si elles étaient réelles. Cela entraînait de lourdes disputes, mais il parvenait toujours à me calmer. 

Puis, les crises revenaient. Ma mère, la seule avec qui je pouvais totalement m’ouvrir sur mes angoisses, essayait de m’expliquer que m’imaginer le pire n’était pas la solution, surtout que je ne pouvais pas savoir quand, comment ou quoi se passerait. Elle répétait cette phrase : « Qui sera, sera ». Ce n’est que bien plus tard que j’ai réellement intégré le sens de ses paroles. Lorsque les crises devenaient trop fortes et que je n’arrivais pas à me calmer, je menaçais de rompre, bien que ce ne soit pas ce que je souhaitais au fond de moi. Je voulais juste que cette douleur disparaisse.

Peut-être pensais-je que rejeter l’ensemble, la personne, l’histoire, la situation, me guérirait de mes peurs. Et comme vous pouvez vous en douter, nous avons fini par rompre après une énième dispute, une énième menace. « Oui, cette fois je crois qu’on devrait rompre », ai-je dit. Mon monde s’est effondré. Ma mère, inquiète de me voir si dévastée, m’a donné un Lexotanil pour m’aider à dormir. C’était comme si quelqu’un mourait. J’ai continué à l’aimer pendant les trois années qui ont suivi notre rupture, convaincue que s’il ne revenait pas, quelqu’un d’autre était fait pour moi. La vie ne pouvait pas être si mal faite qu’une seule personne resterait bloquée dans un passé qui n’existe que là-bas, dans des réminiscences. Après six mois de rupture, je suis allée le retrouver à Londres, et après une soirée éméchée, nous nous sommes follement embrassés. J’étais tellement amoureuse de lui, dans ses bras ce soir-là, oscillant entre espoir et adieu. Comme si je ne méritais pas la fin heureuse. Puis finalement, lorsque l’espoir a été émis, j’ai saboté : crise de jalousie. Et cette fois, c’était fini. Pour de bon.

Puis, quelques années plus tard, après mes examens finaux en faculté de droit, j’ai rencontré un homme qui aura une très grande place dans ma vie. Assis côte à côte, nous ironisions sur nos examens, sur les archétypes estudiantins, et j’avoue, j’ai ri. Il avait quelque chose du comique, le sens juste des choses, la répartie, l’intelligence. Je ne l’avais pas encore vraiment vu. C’est plutôt son esprit vif qui m’a séduite. J’allais célébrer prochainement mes vingt-cinq ans et je voulais faire une grande fête, une sorte de fantasme à la Gossip Girl… Notre ami commun qui nous faisait face m’a indiqué que si je voulais avoir la certitude de la présence de B. à mon anniversaire, il fallait que je prenne son numéro, car monsieur désertait tout réseau social. Je m’exécute, et alors que nous étions encore côte à côte, je reçois un message de lui : « Tu veux boire un jus de pomme ? ». Je ris. Il est doué. Et là je le regarde : waou. La louve en moi hurle, oui je suis une femme, mais j’ai aussi des instincts. Il est grand, bien bâti, brun et tellement, tellement beau. Ce genre de beautés qui mettent tout le monde d’accord. J’ai très rapidement été enflammée par son contact, et j’ai donc fait ce que je fais quand je suis complètement séduite, j’ai sorti la sur-femme en moi. Une savante technique de séduction qui mêle des regards, des contacts physiques, une posture, et une façon de raconter mes histoires, ou de me raconter.

Je dis cela aujourd’hui avec le recul. Sur le moment, je n’ai pas réalisé que j’étais ce qu’on peut appeler « full on ». En grand amoureux de l’amour, comme moi, il a tout de suite commencé cette danse avec moi. Je ne lui ai pas fait peur. Et là je pense que ça a commencé à m’inquiéter. En règle générale, quand je suis la sur-femme, soit les hommes veulent me consommer et me jeter, soit ils me fuient. À nouveau, ce sont mes croyances profondes qui parlent. C’était le moment de le rencontrer, et quand je dis que c’était le moment, il y a en effet des moments justes sur nos chemins pour rencontrer les différentes personnes que nous croisons, et chacun.e. joue son rôle, impactant notre énergie, notre chemin et je pense nous dirigeant plus vers nous-mêmes. Au début de mes études de droit, six ans plus tôt, je l’avais déjà rencontré. À la cafétéria avec des amis. Ces moments où tout le monde se mélange, où les rencontres sont possibles. Il avait un look de montagnard et faisait beaucoup de marche. Je me souviens que lorsque j’étais avec lui, j’ai eu un sentiment fort de bien-être. Et lorsque je me sens bien, j’ai envie de sentir encore cette sensation. Après notre première rencontre, il a filé rapidement sans répondre à mon « à bientôt, j’espère », je l’ai cherché sur Facebook. Pensant l’avoir trouvé, j’en ai parlé à notre amie commune, et j’ai reçu une réflexion sèche : « Il n’a pas Facebook et d’abord il a une copine depuis des années ! », bam. Une claque verbale. Elle était un peu trop en colère pour ne pas être concernée par lui. Et puis j’ai laissé tomber, et je l’ai oublié. Il est réapparu pendant ce dernier cycle d’études, et la première fois qu’il m’a été présenté, j’avoue j’étais ailleurs, et je n’ai pas prêté attention.

Je trouve beau, comme quand quelque chose doit avoir lieu, ça a lieu. Nous étions à une soirée, à un concert, puis plus tard à une fête de célébration de fin d’études. Comme je disais, il était très apprécié, et probablement assez pourchassé par plusieurs autres femmes. Et je n’étais pas d’humeur à me battre. Donc à chaque fois que durant cette soirée il disparaissait entraîné par d’autres, je laissais complètement faire. Jusqu’au moment où j’ai quitté la fête sans dire au revoir. J’aime bien filer à l’anglaise, c’est un peu ma technique de fuite à moi, quand je n’arrive pas à faire face, à prendre ma place. J’avais appelé un taxi que j’attendais dehors, et au moment où il est arrivé, un grand groupe relativement éméché pour ne pas dire ivre m’a devancé. Les taxis étaient rares dans cette zone reculée de la ville (j’exagère).

Au moment où j’appelais un second taxi, un appel entrant a interrompu la communication. C’était lui, il m’appelait. Je réponds : « Tu es où ?! » Il répond : « Je rentre. » « Non, reviens », dis-je. « Ok », répondit-il. Et voilà, c’était le début de nous. Franchement, j’ai trouvé notre rencontre, notre découverte absolument magnifique. 

On a bien joué le jeu de l’amour et en fait, on s’aimait vraiment, c’était encore plus agréable. Très rapidement, on s’est dit « Je t’aime », et très rapidement aussi, il a identifié que j’étais un numéro assez indépendant. J’ai pensé que ce qu’il se passait entre nous était finalement un apprentissage pour moi de vivre le couple dans le présent, et au quotidien. Mon premier amour était une relation à distance, donc oui, l’amour était là, mais le quotidien non, et je n’avais pas vraiment d’idée de comment il devait se passer. Alors je me suis beaucoup laissée guider (il avait déjà eu de très longues relations). Au début, nous avions beaucoup de disputes, beaucoup de fracas, où j’avais l’impression d’être un cheval sauvage qui essayait de dégager sa monture, coûte que coûte. Mais il a tenu bon. Et après un moment, nous avons pu voguer plus en harmonie. Notre relation a connu de gros coups durs, entre échecs académiques, un avortement à près de trois mois, des difficultés professionnelles et le coup de grâce au moment où notre relation allait le mieux : ma mère est décédée, le jour de ses soixante ans, prête à célébrer après être allée chez le coiffeur et à l’onglerie. Elle est partie dans son sommeil, alors qu’elle lisait un livre que B lui avait offert à Noël : « Little Thunderstorms ». Je trouvais que c’était comme un clin d’œil avec un tel euphémisme. Pour l’anecdote, j’avais rêvé à plusieurs reprises les semaines qui précédaient d’une immense vague de la hauteur d’un immeuble qui s’abattait sur mon frère, ma sœur et moi. Nous étions dans des barques, et prenions évidemment l’eau. J’avais la sensation d’avoir bu la tasse et d’avoir de l’eau dans le nez. Nous arrivions à nous en sortir, et arrivés sur une île, des photos souvenirs nous accueillaient, puis nous retrouvions tous nos amis, dans un nouveau bâtiment. Particularité notoire, nous n’avions jamais organisé d’événement collectivement. J’avais parlé de ce rêve à ma mère, et elle m’avait partagé également un rêve particulier qu’elle avait fait. Son père venait la chercher. Je vous promets que cette conversation a eu lieu en conscience.

Je n’ai pas beaucoup parlé de mes parents, car je ne souhaite pas que ce livre soit des doléances à leur égard. J’ai longtemps voulu les charger de tous les maux, mais je réalise qu’ils ont fait de leur mieux avec ce qu’ils avaient dans leurs mains. Alors oui, il y aurait plusieurs choses que je n’aurais pas fait pareil, mais c’est ainsi. Lorsqu’elle a quitté ce monde, je me suis sentie désemparée, comme si j’avais perdu ma protection. Son amour pour nous était tellement inconditionnel, tellement puissant, que je me suis sentie démunie, seule. Il faut savoir aussi qu’à ce moment, en grande transition de vie (à 27 ans), elle était une sérieuse confidente, presque la seule.

La fin de ma relation avec B. a marqué le début d’une période de profonde introspection. Ensemble, nous avons affronté des épreuves difficiles, notamment la perte de ma mère, qui a mis en lumière des aspects de notre relation et de moi-même que je n’avais peut-être pas pleinement réalisés auparavant. Après cette épreuve, j’ai ressenti le besoin de me redécouvrir et de comprendre mon identité personnelle.

Un désaccord sur le besoin d’indépendance a émergé au sein de notre relation. Mon désir d’explorer le monde et de me retrouver individuellement a été mal compris par B., ce qui a créé des tensions entre nous. Cette période de désaccord et de rupture a été difficile pour nous deux.

Après la rupture, j’ai cherché à me replonger dans d’autres relations pour combler le vide laissé par notre séparation. Cependant, j’ai réalisé que je n’étais pas encore prête à m’engager à nouveau sans avoir tiré les leçons de notre histoire avec B.

Il est essentiel de prendre le temps de guérir et de se comprendre soi-même avant de s’engager dans une nouvelle relation. La période de réflexion que j’ai entreprise représente un pas vers la compréhension de mes besoins, désirs et valeurs dans mes futures relations.

Quand on me disait « il faut que tu prennes soin de toi », je ne comprenais pas vraiment ce que cela signifiait. Cependant, un jour, alors que je m’étais une fois de plus engagée dans une relation où j’avais sacrifié des éléments essentiels de mon être, j’ai atteint un point de non-retour. Mon corps a tiré la sonnette d’alarme : carence en fer, en vitamine B12 (probablement due à mon régime alimentaire sans viande pendant environ dix ans pour des raisons financières), incapacité à pleurer, sentiment d’être une coquille vide. J’étais devenue une façade, la petite amie modèle qui ne savait même plus comment se présenter correctement. Mon pilote automatique avait atteint ses limites. C’est à ce moment-là que mes thérapeutes m’ont lancé un ultimatum : « Lilith, tu dois apprendre à te connaître, à savoir qui tu es vraiment. » Mais par où commencer ? Étais-je simplement une somme de diplômes, d’expériences professionnelles ? Étais-je la personne que je montrais au monde extérieur ? Quels étaient mes désirs profonds ?

Depuis un certain temps, j’avais entendu parler de l’Ayahuasca. Au début, je pensais que c’était réservé aux esprits les plus aventureux, mais peu à peu, j’ai ressenti un attrait mêlé de crainte envers cette expérience. Cette fois-ci, je sentais que c’était le moment. Entourée de trois chamanes, après un jeûne préparatoire, j’ai ingéré une toute petite dose de cette substance puissante. Mon esprit résistait, mais finalement, j’ai vécu une expérience incroyablement belle. Je me suis retrouvée face à mon enfance, ressentant la solitude qui m’avait toujours accompagnée, mais cette fois-ci, j’ai entendu ma propre voix m’assurer que j’étais toujours là pour moi. C’était un voyage de reconnexion profonde. J’avais formulé mes intentions avant de commencer : je voulais rencontrer cette personne qui m’était destinée.

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